Être là, exactement là où je devrai être

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Être là, exactement là où je devrai être. Cette sensation est la première qui me vient peu après mon arrivée à Ittoqqortoormiit, lorsqu’enfin je me laisse le temps pour m’écouter. Jusque-là ce fut l’expérience d’un entremêlement du temps qui se compresse et du temps qui s’allonge, indéfiniment. La hâte du départ, d’une rencontre expéditive avec mes nouveaux colocs. La faute à un exil norvégien prolongé. Après un exercice de lenteur de Bergen à Paris, pas vraiment enchanté de prendre l’avion. Je n’aime pas les aéroports. Parce que le symbole. Parce qu’il est insensé que de prendre autant de temps pour rejoindre l’aéroport depuis le Sud de Paris que pour parcourir de Paris à Reykjavik. Parce que j’aime voyager lentement et rester connecter aux distances. Dans cette course à l’insensé, je fais donc escale en Islande. Le Covid m’oblige ou plutôt m’offre une rallonge de deux jours en Islande, le temps de faire un PCR en Islande pour pouvoir ensuite atteindre le Groenland. Le temps de faire un peu plus que survoler. Pas de faire connaissance encore. Mais au fils des annulations, voilà le temps qui ralenti. Aux trois faux départs succèdent des temps incertains, ceux où l’on se réveille en sursaut ne sachant pas où l’on se trouvera dans les heures qui suivent, ceux où on établit un record de PCR par semaine. Des parenthèses se forment néanmoins, laissant s’échapper le stress pour embrasser le temps qui défile paisiblement. Des habitudes s’insinuent avec douceur, vites rattrapées par des rituels plus abruptes : faire sa valise, défaire sa valise, changer de chambre, changer d’hôtel, changer de ville. Après neuf jours d’attente à Reykjavik, ce sera donc Akureyri. Un nouveau bout d’Islande. Des montagnes à admirer, des forêts où se perdre. Tout l’imprévu, les aléas que charrient la situation ne me rendent le trajet que plus agréable : “It’s part of the journey”. Si bien que mon esprit s’était fait à ne pas penser à ce moment-là, celui où j’embarque pour ma destination finale ; noyé dans l’attente, il faut bien se parer de stratagème pour que tout ne soit pas simplement du temps que l’on regarde défiler. Au point, que je me surprend à apprécier ce dernier vol, perché dans la conviviale promiscuité d’un avion d’une quinzaine de places, d’un cockpit à tableaux de bord ouverts et d’un hublot qui accueille un premier iceberg. Atterrir désormais, la seule question qui continue de compter : Qu’est-ce que je fais là ?

– Being there, exactly where I should be

This feeling is the first one that comes to me shortly after my arrival in Ittoqqortoormiit, when I finally allow myself to take time to listen to myself. Until then it was the experience of an intermingling of time that compresses and time that lengthens, indefinitely. The haste of departure, of a quick meeting with my new roommates. The fault of a prolonged Norwegian exile. After an exercise of slowness from Bergen to Paris, not really delighted to take the plane. I don’t like airports. Because the symbol. Because it is insane to take as much time to reach the airport from the South of Paris as to travel from Paris to Reykjavik. Because I like to travel slowly and stay connected to the distances. In this race to the insane, I make a stopover in Iceland. The Covid obliges me or rather offers me an extension of two days in Iceland, the time to make a PCR-test in Iceland to be able to reach Greenland. Time to do a little more than flying over. Not to get acquainted yet. But with each cancellation, time slows down. The three false departures are followed by uncertain times, those where we wake up not knowing where we will be in the following hours, those where we set a record of PCR-test per week. Nevertheless, brackets are formed, letting the stress escape to embrace the time that passes peacefully. Habits gently creep in, quickly overtaken by more abrupt rituals: packing, unpacking, changing rooms, changing hotels, changing cities. After nine days of waiting in Reykjavik, it will be Akureyri. A new part of Iceland. Mountains to admire, forests to get lost in. All the unforeseen, the hazards of the situation make the journey even more pleasant: “It’s part of the journey”.